Réflexions sur l’enseignement de la viole de gambe

 par Jean-Louis Charbonnier

Il est bien difficile de se détacher des habitudes et des enseignements classiques qui ont influencés nos interprétations. Sans le mouvement « baroqueux » qui remettait en cause l’influence des traditions acquises au XIX è siècle dans l’interprétation des musiques anciennes, aujourd’hui Lully, Marais, n’auraient pas retrouvé leur intérêt. Un grand travail reste à faire pour la restitution de ces œuvres, avec par exemple l’emploi du « vibrato » pour les chanteurs alors que la plus part des instrumentistes l’ont exclu de leur jeu.

 

Bien qu’elle n’ait pas été transformé comme beaucoup d’instruments qui ont suivis l’évolution des styles et des sensibilités, la viole de gambe a été elle-aussi influencée par le XIX è et le XXè siècle. Quand je débutais la viole dans les années 1970/1975, les violistes étaient des violoncellistes jouant sans frettes, avec une pique et souvent avec la tenue d’archet du violoncelle (Jean Lamy, Robert Cordier, Raphaël Perulli…). Grâce à des musiciens comme Wieland Kuijken  et Jordi Savall (violoncellistes eux-aussi), la viole a retrouvé son caractère spécifique.

A cette époque, en 1975, quand la Maison Heugel m’a demandé d’écrire une méthode de viole de gambe, elle était destinée aux violoncellistes désirant connaître les doigtés de la viole pour jouer Bach, Telemann, et aussi aborder Marais, mais l’immensité du répertoire de la viole et sa technique particulière ne sautait pas encore aux yeux.

Pour nous défaire de toutes ces influences qui sont ancrées en nous, il me semble indispensable d’appliquer des règles spécifiques à la technique de la viole.

 

1 – LES PIECES EN TABLATURES.

Nous connaissons tous l’origine de la viole qui est la transformation de la vihuela, instrument à cordes pincées et nous savons que jusqu’à la moitié du XVII è siècle la plupart des violistes jouaient du luth (Hotman, Meliton, Sainte Colombe, Marais lui-même). Les nombreuses partitions en tablatures sont des liens très précieux entre ces deux familles d’instruments.

 

L’enseignement de la technique de main droite des luthistes

Un élève doit savoir  jouer les pièces en tablatures (Hume, Plaford) en « pincé » avec la technique de main droite des luthistes en utilisant non pas uniquement le pouce tels que les violoncellistes mais en utilisant index, majeur et pouce.

L’élève y retrouvera l’origine de son instrument

 

2 – POSITION DE LA MAIN GAUCHE.

En 1687, une querelle oppose Jean Rousseau, élève de Sainte Colombe et Demachy.Ce dernier critique la nouvelle tenue de main presque imposée par le maître. En effet, à cette époque les violistes (presque toujours luthistes) utilisaient la position  « harmonique » de la main gauche, c’est à dire prête à jouer les accords et c’est au milieu du 17 è siècle que Sainte Colombe initie une nouvelle position plus ouverte de la main permettant de gagner une case sur le manche qui donnera naissance à l’extension du premier doigt.

Les nombreuses pièces en tablatures et les tonalités de l’époque Renaissance nous prouvent que la position principale, première position de la main gauche (demi-position des violoncellistes) place l’index sur la première touche et n’évite pas les « cordes à vide ». La seconde position, en déplaçant la main d’une touche (l’index sur la deuxième touche avec extension du premier doigt vers la première touche) n’apparaîtra qu’au milieu du 17è siècle.

 

Oublier la demi-position

Il me paraît indispensable de ne pas utiliser le terme des violoncellistes « demi-position » qui est un terme qui n’est utilisé qu’à partir du 19 è siècle et préférer la « première position » (demi-position des violoncellistes) qui facilite l’apprentissage et la lecture « à vue ».

Par expérience, dans les nombreux stages que j’organise l’été avec des enfants, mes élèves de première année, déchiffrent beaucoup plus facilement que les enfants ne connaissant pas la « première position » et ne sachant pas encore faire l’extension. Seule, la tonalité de sol majeur leur convient !

 

3 – LECTURE DES CLEFS

En étudiant le traité de Diego Ortiz (1553), l’on remarque que l’utilisation des clefs est très importante : clef d’ut première, deuxième, troisième, clef de fa deuxième, troisième, quatrième… Aujourd’hui combien d’élèves ne savent lire que la clef de leur instrument (violonistes la clef de sol seconde, violoncelliste la clef de fa…) et combien de flûtiste jouant la flûte à bec alto ne savent pas lire la clef de sol à la bonne octave, n’ayant appris à jouer dans une clef octaviée !. Or le jeu de la viole implique de savoir jouer toutes les tailles de viole et par conséquent de savoir lire un minimum de trois clefs.

 

La clef ne doit pas correspondre à un instrument mais donne l’indication d’une tessiture

Mon principe est toujours de faire débuter les élèves par la clef de sol que se soit sur un dessus ou une basse de viole, puis la clef de fa que se soit sur un dessus ou une basse de viole, et enfin la clef d’ut.

Ainsi, en trois ou quatre années d’étude, les clefs deviennent l’indication de tessiture et de l’instrument à utiliser.

 

4 – MUSIQUE CONTEMPORAINE

Combien de fois, j’ai du m’opposer à l’obligation d’une œuvre contemporaine dans les examens de viole de gambe.

Le Département de musique ancienne, comme le département de Jazz ou le département de chanson française… sont des spécialités, et l’enseignant ne peut pas tout connaître. Demande-t-on à un professeur de violon d’enseigner le violon baroque (avec son riche répertoire 17è), d’enseigner le violon jazz en plus de tout le répertoire romantique et moderne ?

La musique contemporaine n’est pas « une partie de rigolade » qui peut être enseigner par n’importe qui, c’est une spécialité.

 

Privilégier la variété du répertoire avant d’aborder la musique d’aujourd'hui

Aborder un répertoire contemporain pourra se faire dans les conservatoires supérieurs, mais les professeurs de viole de gambe (sauf pour ceux, cas très rare dont c’est la spécialité) doivent refuser le principe que tous les élèves aborderont la musique contemporaine. La variété de l’enseignement de la viole permet de remplir un cursus complet sans avoir à en rajouter : Renaissance, baroque, classique, diminutions, réalisation de basses continues, pièces en tablatures, continuo, consorts etc…

 

5 – IMPROVISATION

C’est dès le milieu du 17è siècle que l’on verra la liberté du musiciens se restreindre et se cantonner à l’interprétation. En France, par exemple, Louis XIV fut l’un des premiers souverain a imposer la gravure des œuvres écrites pendant son règne afin qu’elle soient diffuser dans toute l’Europe. Dès 1650, l’improvisation n’est plus souhaitée. Or quelques années plus tôt, la viole française faisait sa réputation en Italie avec les violistes tel que Maugars qui improvisait avec l’harmonie « comme un dieu »

 

Diminutions et réalisation des basses continues

Les élèves qui abordent les diminutions dès la quatrième, voire la troisième année, trouvent un plaisir de liberté dans le texte musical et leur permet de mieux comprendre les œuvres plus tardives qui ne sont construites que sur des bases d’ornementations « à l’italienne ».

Dès la sixième année, la réalisation des accords harmoniques leur permet de mieux comprendre l’origine de cet instrument.

 

6 – LES CONSERVATOIRES ET LES EXAMENS

Les demi-tons facilités par les espaces de touches, la possibilité de jouer en cordes pincées, la tenue de l’archet sans tension etc…, la variété du répertoire et la possibilité grâce à la gamme complète de la famille de jouer l’ensemble des parties d’un Consort, font de La viole de gambe un instrument « pédagogique » extraordinaire. Malheureusement, nombre de directeurs n’ont pas saisi son intérêt pédagogique.

 

Les examens de fin de cycle dans les conservatoires municipaux.

Chaque examen doit permettre de valoriser la variété du répertoire de la viole. La pièce de soliste ne doit plus être l’essentiel du contrôle. L’évaluation de l’élève se fera sur ses connaissances générales de l’instrument.

Programme fin de 1er Cycle

- un dossier sur l’instrument (histoire, compositeurs, répertoire…)

- Diminutions sur un thème de Monteverdi

- Pièce en tablature au choix (technique luthiste)

- Une basse continue

Pièce imposée comprenant démanché, clef d’ut

Pièce au choix (clef de sol)

 

Critères d’évaluation

2/20 connaissance de son instrument (dossier + échange avec le jury)
2/20 lecture des clefs (clef de sol diminutions, clef de fa basse continue)
2/20 l’ornementation à la française (tremblements et battements)
2/20 lecture de l’écriture en tablature
2/20 technique main gauche de luthiste (utilisation de 3 doigts main droite)
2/20 basse continue (accompagnement cordes graves de l’instrument)
2/20 diminutions (travaillées, mais improvisées)
2/20 musique de chambre (orchestre ou consort de violes)
2/20 tenue de l’instrument (position, main gauche, archet…)
2/20 musicalité

 

Fin de 2ème Cycle

1 pièces imposé du répertoire en clef d’ut

1 pièce en tablature (archet et pincé technique de luthiste)

1 improvisation : diminutions

1 réalisation harmonique sur une basse chiffrée

1 pièce au choix par coeur

Musique de chambre (au dessus, ténor ou contrebasse), basse continue….

 

Critères d’évaluation

2/20 Lecture de tablatures archet et pincée
2/20 Connaissance de toute la tessiture de la famille (dessus, ténor…) : musique de chambre
2/20 basse continue (accompagnement)
2/20 diminutions (travaillées)
2/20 réalisation d’une basse chiffrée (tierces et accords simples)
2/20 mémoire : par coeur
2/20 tenue de l’instrument, tenue de l'archet
2/20 lecture des clefs (ut 3è et sol octaviée)
2/20 interprétation dont ornementation à la française (tremblements et battements)
2/20 musicalité, sonorité

 

Fin de 3ème Cycle (certificat de fin d’études)

Pièces du répertoire

Musique de chambre